La grâce de l’instant

A chaque heure du jour
Et à chaque minute,
Tu peux, sans plus de lutte,
Suspendre ton parcours.



Puis écarter le monde,
Puis étirer le temps,
Te lovant doucement
Au creux d’une seconde.



Cet instant, emplis-le de nuit
Et nourris-le de tant de rêves
Qu’il enfle au flot cru de leur sève
Et resplendisse de leur bruit.



Vois-le s’étendre en bleu pastel,
En rouge sang, en vert-de-gris.
Vois-le reluire en eau de pluie
Et ombrager les bords du ciel.



Bois-le, ce monde aux tons de matin tiède,
Ce monde aux sons bas de bête endormie.
Bois-le à petites lapées ravies
Qui de course-vie donnent le remède.



Cette eau vive coule en flux intriqués,
Bout, jaillit, retombe en bruine féconde
Et fais pousser au creux de ta seconde
La jungle des siècles bigarrés.



D’un grain de sablier surgissent les grands chênes,
Les volcans de cristal, les landes de papier,
Et dans l’air embrumé des vallons dépliés
Un frisson automnal hérisse les dolmens.



Des rameaux grésillants tombe le singe-feu
Qui foule avidement le moelleux des tourbières.
Depuis les abysses en cohortes légères
Se hissent les hélices au grain rocailleux.



Dans l’écrin fantasmé, lacets de fauve et flore
Tissent un mat rubis ; fais-t-en le joailler.
Que la terre précieuse ainsi soit façonnée
En chaque coin d’esprit, nu, que ton âme explore.



Le chant des alizés qui fait valser l’écume
Sur un dais de lumière émaillé de trous bleus
S’empresse d’embaumer la nostalgie des vœux
Au parfum capiteux d’un bouquet d’amertumes.



Auprès d’un pic altier, l’envers d’une saillie
Abrite une échappée de mangrove éphémère.
Le rythme singulier qu’elle imprime à l’éther
Ecrit la joie farouche en l’homme qui s’oublie.



Mais fi des émotions à la lourde sentence
Fi de la perception campée sur le réel.
Certaines impressions que le rêve recèle
Echappent au carcan de morne vraisemblance.



Planant sur le désert, les nuages graciles
Pratiquent une langue en vingt-six pas de danse.
Qui en a découvert la grammaire et le sens
Se sent tel une grêle avide et volubile.



Si l’ordre sibyllin des colosses de fer
Réside sur la branche effacée d’un flocon,
Les sinues de la main hâtant l’érudition
Revêtent l’élégance aride des hivers.



Avivée de visions, l’âme en un trait fugace
S’élève sur l’abstrait et plonge au firmament ;
L’arcane vermillon y remue le néant
Elle éloigne le temps, fait trêve de l’espace.



C’est en ce point d’obscure transcendance
Que la trame ocrée répand ses brins frêles
Landes et volcans, musoirs et tonnelles
Déliés de l’esprit, cèdent leur essence.



Cette mouvance éthérée fuit,
Souffle exhalé par l’instant-rêve.
Et tel un pont de lueur brève,
Un rai d’espoir y est conduit.



Qu’il diffuse alentour
Et atteigne en volutes,
Au bout de la minute,
Les heures et les jours.